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Marion Gaillard merci d'avoir répondu à notre demande d'entretien.
Vous êtes diplômée de l'IEP de Paris,
docteur en histoire et spécialiste des relations franco-allemandes
et des questions européennes en général, vous enseignez d'ailleurs cette
discipline comme chargée de conférences à Sciences Po.
0:25
>> Alors, en effet l'Allemagne vient de présenter son premier budget en équilibre,
donc on peut dire qu'elle est le bon élève ou plutôt un
bon élève de la classe européenne, puisqu'elle a réussi à réduire massivement
son déficit qui était quand même assez élevé au moment de la crise en 2008-2009.
Ceci dit il faut pas oublier non plus que sa dette reste de l'ordre de 78 % du PIB,
ce qui est très au-dessus des normes de Maastricht,
donc elle a encore aussi des efforts à faire dans ce domaine.
Par ailleurs, sur la question du chômage,
elle est à 4,9 % donc elle est aussi le bon élève.
Ceci dit on compte à peu près 25 % de temps partiel dont la plupart n'est pas un
temps partiel choisi, et enfin, à peu près 20 % de travailleurs pauvres.
1:09
Alors on parle en effet beaucoup d'une hégémonie allemande,
d'une Europe allemande, je caractériserais plutôt ça de prédominance.
C'est une prédominance, évidemment démographique de par son
poids démographique, une prédominance économique,
c'est le premier PIB de l'Union européenne, une prédominance financière
puisqu'elle contribue très largement au budget de l'Union européenne.
Mais je ne parlerai pas d'hégémonie, dans la mesure où l'Allemagne elle-même
ne veut pas êre hégémonique, elle a une très forte culture de l'autocensure de sa
propre puissance depuis la seconde guerre mondiale,
cette autocensure est très prégnante dans les milieux politiques et intellectuels,
et puis elle ne le peut pas, parce que si elle est hégémonique,
ça va susciter immédiatement des tensions très fortes au sein de l'Union européenne,
vous parliez de clivage tout à l'heure entre le nord et le sud et cette
éventuelle hégémonie allemande est très mal perçue dans les pays méditerranéens.
2:02
Alors on peut effectivement parler d'une centralité de l'Allemagne,
qui est d'abord une centralité géographique, depuis l'élargissement qui
a placé l'Allemagne réellement au cœur géographique de l'Union européenne.
Par ailleurs on peut parler aussi d'une centralité
politique et diplomatique mais qui remonte à bien avant, on peut dire même dès
l'Ostpolitik de Willy Brandt, l'Allemagne a été au centre des relations est-ouest,
du dialogue est-ouest de la détente, et elle est devenue à cette époque-là
l'interlocuteur privilégié des deux grands.
La réunification évidemment l'a placée aussi dans une centralité politique
puisqu'elle s'est retrouvée, elle a pu tourner une page d'une certaine manière,
donc il y a une centralité géographique, politique, économique,
on vient d'en parler, et je dirais aussi une centralité intellectuelle,
puisque c'est elle qui est une force de proposition dans la construction
européenne depuis une vingtaine d'années, depuis que la France a un petit peu
abandonné le leadership intellectuel de la construction européenne.
3:04
Sur la question de la possibilité pour l'Allemagne de dicter au reste de l'Europe
sa politique économique, son culte de la stabilité et de l'austérité, évidemment
c'est vrai que l'Allemagne, en échange de l'aide qu'elle a fournie à un certain
nombre de pays évidemment notamment à la Grèce, a imposé à ces pays une cure
d'austérité sans précédent qui est très, très mal vécue dans ces pays-là et on a vu
resurgir un sentiment germanophobe très important, je pense notamment à la Grèce.
Donc elle a dicté cela à travers la mise sous tutelle des pays qui ont été aidés,
à travers le pacte budgétaire, le traité budgétaire de mars 2012, qu'on a aussi
appelé le traité Merkozy, mais il faut quand même nuancer cela puisque : un,
l'Allemagne a été solidaire au final après plusieurs hésitations de ces pays,
elle a largement financé des plans de sauvetage, deux, le gouverneur de la
banque centrale allemande a été régulièrement mis en minorité au sein
du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne,
que ce soit sur la baisse des taux d'intérêt,
sur le quantitative easing, ou sur le rachat des dettes nationales,
donc on peut pas du tout dire qu'on est dans une Europe allemande,
dans la mesure où tout ce qui s'est passé depuis quelques années, c'est exactement
ce que l'Allemagne redoutait depuis la mise en place du traité de Maastricht.
4:20
Alors, en effet l'Allemagne a été tout au long de la construction européenne,
un pays fortement européen dont la population
adhérait de manière générale à la construction européenne.
On peut voir quand même un premier décrochage au moment du traité
de Maastricht car l'abandonn du Deutsche Mark était un réel sacrifice pour
l'Allemagne et pour la population allemande,
à la fois un sacrifice monétaire parce que le Deutsche Mark était la monnaie forte
de l'Union, mais aussi un sacrifice symbolique parce que le Deutsche Mark
représentait la fierté nationale allemande, l'Allemagne ne pouvant pas être
patriote ou nationaliste comme on peut parfois l'être en France,
c'était le symbole de sa réussite post seconde guerre mondiale.
Donc là, on a commencé à avoir un décrochage dans l'opinion
publique allemande, et s'il y avait eu un référendum sur le traité de Maastricht,
je ne suis pas sûre qu'il aurait été voté finalement, et puis ce décrochage de
opinion publique allemande, il continue et il s'amplifie avec la crise de l'euro,
les allemands ont subi une grosse crise d'austérité avec les lois Hartz notamment
sous Gerhard Schröder, ils ont payé cher le prix de la croissance retrouvée,
et donc ils avaient pas, c'est clair, envie de payer pour les autres et toute la
thématique de la fourmi allemande qui paye pour la cigale grecque s'est beaucoup
développée dans la presse allemande avec des très fortes critiques virulentes
contre les grecs auquelles les médias se sont très largement prêtées d'ailleurs.
Sur Alternative für Deutschland, ça reflète clairement,
disons l'évolution de l'opinion publique allemande depuis une vingtaine d'années,
avec cette possibilité de sortir de l'euro, ils ont des résultats importants,
c'est indéniable, mais je pense qu'on peut quand même dire qu'une majorité de la
population allemande aujourd'hui soutient encore la présence de l'Allemagne,
à la fois dans l'euro et dans l'Union européenne.
6:02
Alors, la critique d'une trop forte puissance allemande elle existe depuis
deux, trois ans à peu près, avec des essais comme celui d'Ulrich Beck,
l'Europe allemande, paru en 2012 en Allemagne et publié en France en 2013,
ou un article qui avait eu beaucoup de résonnance en France,
de Joschka Fisher, également en juin 2012, où il critiquait la politique
de Madame Merkel et la comparait à Machiavel avec le terme de Merkiavel.
Ça c'est plutôt sur les aspects politiques.
Sur la question économique, il y a effectivement une nuance très forte
apportée par certains intellectuels à cette réussite allemande,
en raison de chose que j'ai évoquées c'est-à-dire, le taux de temps partiels,
de travailleurs pauvres, mais aussi la question démographique qui est centrale
en Allemagne quand même et qui va poser des problèmes
pour financer les retraites mais aussi pour le dynamisme de l'économie allemande.
Beaucoup aussi mettent en avant le fait que la croissance allemande est tirée
davantage par les exportations que par la demande intérieure, notamment en raison du
vieillissement aussi, et que ça va poser des problèmes à terme ; et du coup,
l'Allemagne doit bien s'inscrire dans l'Union européenne et dans la zone euro,
parce que, elle a besoin de la demande de ses voisins.