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[AUDIO_VIDE] Donc, Nicolas Mottis.
Je suis professeur à l'ESSEC et chercheur associé à l'école Polytechnique,
au département de l'économie.
Je travaille sur le thème de la finance responsable depuis des années,
dans différents cadres, notamment le cadre français, au sein du forum
pour l'investissement responsable, qui est l'organisation qui fédère l'ensemble des
acteurs de la place financière de Paris sur le thème de la finance responsable.
Dans le cadre des PEI, les Principles of Expensable Investment qui sont une
initiative de l'ONU qui avaient été lancés par,
pour développer la finance responsable au niveau mondial et puis dans le cadre de
différentes organisations comme la plateforme nationale RSE et autres.
Alors la finance responsable c'est pas un concept nouveau, on en parle
beaucoup aujourd'hui mais c'est un concept qui a déjà maintenant au moins un siècle,
voire plus.
On peut le rattacher à des pratiques encore plus anciennes.
Et c'est un concept qui s'est essentiellement développé dans un cadre
anglo-saxon notamment au départ avec, il y a environ un siècle maintenant,
des conversions religieuses qui ont à un moment donné,
affiché dans leurs choix d'épargne et d'investissement des convictions très
fortes visant à exclure un certain nombre de titres de leurs portefeuilles.
Donc le premier mot-clé à retenir sur la finance responsable,
quand on parle de ce concept là, c'est le mot : exclusion.
Parce que c'est une logique de gestion de portefeuille qui a été très prégnante dans
le domaine depuis longtemps, notamment au début avec des conversions religieuses,
excluant les industries liées à l'alcool, à la pornographie, au jeu, à l'armement.
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Ça c'est la première phase de la finance responsable.
Il y a une deuxième phase,
qui est extrêmement importante aussi et qui explique aussi l'émergence du thème,
c'est l'activisme politique, qui est très très fort notamment à partir de la
deuxième moitié du XXe siècle, autour d'événements historiques majeurs.
Il y a eu beaucoup d'éléments d'activisme dans ce registre là mais on peut en citer
notamment deux : la guerre du Vietnam, qui a été marquée sur les campus américains
par des mouvements extrêmement forts et notamment dans ces mouvements,
des tentatives d'influencer fortement les investisseurs,
les universités elles-mêmes et la communauté financière plus généralement,
pour qu'elles désinvestissent des firmes américaines présentes au Vietnam,
au travers par exemple de la production d'agents oranges,
ou de la production d'armes.
Et donc ça, ça a été un mouvement extrêmement fort, qui a beaucoup
influencé le paysage financier et toujours dans une logique d'exclusion.
Deuxième exemple dans cette logique d'exclusion sur des bases politiques,
c'est tous les phénomènes de boycott autour de l'apartheid en Afrique du Sud.
Avec encore une fois, des mouvements activistes très puissants,
visant à pénaliser et à punir les firmes essentiellement anglo-saxonnes
encore une fois, faisant du business avec l'Afrique du Sud.
Et là ça a touché des entreprises comme Coca-Cola, IBM, Boeing,
et ça a eu un réel impact sur l'apartheid, puisque que quand on parle aujourd'hui
avec les dirigeants sud-africains, une des choses qu'ils évoquent systématiquement
comme une des raisons de la chute du régime de l'apartheid
ça a été le boycott justement des acteurs financiers sur des logiques d'exclusion.
Il y a d'autres phénomènes que l'on voit apparaître,
on peut en citer un qui est très récent, qui est en train de monter en
puissance avec des logiques très très fortes d'exclusion aussi.
C'est le phénomène basé sur le rejet de l'industrie carbone et notamment sur les
campus américains encore une fois.
On voit apparaître des mouvements qui poussent les banques,
les investisseurs, les groupes industriels à se désengager par exemple de la
production de lumière dans le domaine du charbon ou
de la production d'énergie électrique à partir de centrales thermiques charbon.
Ça c'est un phénomène qui devient extrêmement puissant aujourd'hui.
Quand on parle aux acteurs européens de l'énergie, ils sentent aujourd'hui une
pression extrêmement forte sur cette portion d'activité.
On voit même des groupes français qui désinvestissent de certains projets en
Afrique du Sud ou en Pologne par exemple, sous la pression d'investisseurs.
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Cette histoire là,
qui est l'histoire de l'exclusion essentiellement anglo-saxonne, elle est un
petit peu différente de l'histoire de la finance responsable en France.
Depuis les années 90, 2000,
on a vu se développer une autre logique qui est une logique qu'on appelle de
Best in class C'est une logique très différente de l'exclusion,
c'est une logique qui consiste à dire, on peut investir partout mais dans chacun
des secteurs dans lesquels on investit on va prendre les acteurs les plus vertueux.
Donc par exemple, si on investit dans le pétrole, on va prendre les entreprises
pétrolières qui ne font pas de schiste bitumineux au Canada.
On va prendre des entreprises qui essayent de réduire l'impact
de leurs plateformes pétrolières.
Donc on va prendre dans tous les secteurs, l'acteur le plus vertueux.
Dans ce cadre du Best in class, ce que l'on observe aujourd'hui en France,
notamment, c'est une montée en puissance très forte des actifs sous gestion avec
des critères ESG, donc environnementaux, sociaux et de gouvernance.
À tel point qu'aujourd'hui, on a sur la place de Paris,
alors les chiffres sont toujours durs à donner de façon précise,
mais, plusieurs centaines de milliards d'euros qui sont gérés avec des critères
qui intègrent, ce qu'on appelle, des éléments de finance responsable.
Alors, comme vous le comprenez, le domaine de l'investissement responsable,
c'est un domaine très très vaste avec des pratiques très très variables qui
porte sur des critères qu'on a l'habitude de nommer ESG, donc environnementaux,
sociaux et de gouvernance.
Et dans ce domaine là, il y a notamment ce qu'on appelle l'impact investing dont les
définitions sont encore aujourd'hui très très variables, donc on est sur un
paysage qui bouge beaucoup, avec des concepts qui sont en train d'être mûris.
Mais dans l'idée de l'impact investing, il y a l'idée que l'investisseur va aller
chercher au-delà de la performance financière un impact précis,
par exemple sur une réduction d'émissions de CO2, sur de la création d'emplois,
sur l'augmentation de l'amélioration de paramètres liés au bien-être des salariés,
à la diversité.
Donc on va aller dans les politiques d'investissement,
compléter le critère de rentabilité financière classique par des critères
qui vont mesurer beaucoup plus précisément l'impact que
peut avoir l'investissement sur des paramètres extra-financiers.
La question de fond que pose ces pratiques d'investissement c'est finalement,
quelle corrélation peut-on trouver entre une performance financière
et les performance ESG.
C'est un sujet intéressant du point de vue de la recherche parce que
ça fait l'objet de centaines de publications depuis des années.
Moi je vois encore passer dans des jurys internationaux beaucoup beaucoup de
travaux sur ce domaine là.
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Difficile de conclure, certains travaux disent que la corrélation est positive,
d'autres qu'elle est négative, d'autres qu'il n'y a pas de corrélation.
Ce que l'on peut aujourd'hui globalement dire,
en étant assez confiant par rapport au résultat de la recherche,
c'est que il est tout à fait possible de faire les deux.
C'est-à-dire qu'on peut tout à fait s'orienter sur de la performance ESG
sans nécessairement dégrader la performance financière.
C'est tout à fait possible.
Ce qui en soit est déjà un résultat extrêmement fort
par rapport à la théorie financière classique qui suppose que si
lorsqu'on on fait autre chose que maximiser la création de caches,
on perd forcément sur d'autres variables, risques ou rentabilité.
Les travaux aujourd'hui montrent que on peut faire les deux sous certaines
conditions, mais que en tout cas c'est possible.
Donc l'impact investing se situe dans ce cadre-là avec des enjeux aujourd'hui
extrêmement forts de mesure de l'impact, d'horizon d'investissement et puis de
catégories d'actifs, puisqu'on voit émerger dans ce domaine là des catégories
d'actifs un peu nouvelles, notamment, ce qu'on appelle les green bond,
qui sont donc les obligations vertes qui sont des titres assez particuliers
auxquels on associe un impact précis, notamment en terme d'environnement.
Dans ce cadre-là de très forte croissance des actifs sous gestion avec des critères
liés à la finance responsable,
on peut identifier aujourd'hui un certain nombre d'enjeux, il y en a beaucoup.
Je vais juste en citer trois.
Premier enjeu,
c'est un enjeu d'accès aux particuliers, un enjeu via la distribution.
Ça paraît aujourd'hui tout simple mais les réseaux de distribution bancaires,
d'assurance, de produits d'épargnes,
sont aujourd'hui très très peu au courant de ces concepts de finance responsable.
Et il est clair que si on veut continuer à développer cette finance-là,
il va falloir que le marché les investisseurs particuliers,
parce que les institutionnels connaissent ça depuis assez longtemps,
maintenant, ils maîtrisent assez bien les concepts.
Mais le marché de l'épargne individuelle aujourd'hui,
n'est pas du tout au courant de ce qui s'y passe, donc il y a des vrais enjeux de
distribution, d'accès à ces produits, de labellisation.
Il y a des chantiers aujourd'hui,
notamment français de création d'un label ISR, donc qui permettrait de vraiment
diffuser ces concepts d'investissement de manière plus large.
Donc ça c'est un premier enjeu.
Il y a un deuxième enjeu très fort,
qui touche notamment les entreprises qui est l'explosion de cette nouvelle classe
d'actifs que j'ai évoqué rapidement qui est la classe des green bond.
Quand on regarde ce que ça représente en milliards d'euros,
en l'espace de deux années, on est passés de zéro quasiment à plusieurs dizaines de
milliards d'euros de green, donc d'obligations vertes, qui intéressent
énormément les investisseurs parce que ce sont les obligations qui sont associées
à une mesure d'impact assez particulier, un impact sur l'environnement typiquement
mais qui intéresse aussi beaucoup les entreprises parce que ça leur permet
d'obtenir des financements souvent assez longs avec des conditions intéressantes
et des investisseurs qui s'intéressent à autre chose qu'à la maximisation du cadre.
Ceci dit, cette explosion du marché des green bond pose beaucoup beaucoup de
questions en terme opérationnel notamment sur la mesure de l'impact et sur le
suivi précis de cet impact dans le temps par rapport aux engagements que prennent
les entreprises et les investisseurs vis-à-vis de leurs épargnes.Troisième
enjeu que l'on peut évoquer rapidement c'est en enjeu peut-être plus managerial
puisqu'on est dans une business school, on peut évoquer les questions de management.
C'est le couplage entre tout ce qu'on voit se développer sur les marchés financiers
avec le développement de ces notions d'intégration ESG, donc d'intégrations de
paramètres environnementaux, sociaux et de gouvernance
dans les politiques financières, avec le développement de la RSE,
la Responsabilité Sociétale des Entreprises, côté pilotage interne.
Et on sent bien que à un moment,
le couplage entre les deux va devoir se faire.
Il est fait aujourd'hui dans les discours au niveau de la tête des entreprises,
dans les comités exécutifs.
Il est pas encore complètement fait dans le déploiement opérationnel
des entreprises et donc il y a vraiment là un enjeu de couplage très fort
qui se traduit aujourd'hui par toute une série de chantiers, notamment autour de ce
qu'on appelle le rapport intégré qui vise à mettre en place des systèmes de pilotage
qui intègrent beaucoup plus fortement les aspects financiers et extra-financiers.
Et donc ça c'est un chantier qui démarre, qui est poussé par différents acteurs
sur la place mais qui va très profondément modifier les pratiques de
pilotage de beaucoup de groupes dans les années qui viennent et qu'on
peut assez directement relier à la montée en puissance de la finance responsable.