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Nous avons, dans différents pays, c'est intéressant de les suivre,
différents efforts pour réformer, c'est-à-dire humaniser des entreprises.
Et à mon avis, humaniser,
c'est à la fois donner, respecter, reconnaître l'autre,
et leur donner de l'autonomie et un minimum de responsabilité,
et c'est en même temps créer un climat de communauté.
J'en arrive toujours à cette dualité que j'ai signalée pour la société
qui a deux pôles, un pôle de communauté, c'est-à-dire où on se sent fraternel,
où on se sent ensemble, et un pôle de société ou chacun est livré à son intérêt
particulier, à sa propre particularité, à son propre égoïsme.
Et bien, dans l'entreprise, c'est pareil, ça peut pas être une harmonie totale.
De même que dans une société, il y a des conflits,
des rapports de rivalité.
Dans une entreprise, on va pas supprimer, on peut pas créer un monde angélique,
mais on peut créer un esprit de communauté.
Et ça, c'est arrivé assez souvent dans des coopératives.
Bien entendu, parfois, les coopératives n'ont pas pu exister,
mais moi, je connais deux exemples historiques.
Le premier qui est aujourd'hui ignoré, c'est la Coopérative de Boimondau,
c'est-à-dire des boîtiers de montres qui se trouvaient à Valence,
France, pas Valence, Espagne.
Et c'était une coopérative où le responsable était élu par les
travailleurs, et qui a affronté des crises.
Et ces crises ont été surmontées par la solidarité entre les
différents membres de la coopérative qui ont pu surmonter cette crise,
jusqu'au jour où cette coopérative a disparu.
Et il y a l'exemple célèbre de Lip qui pendant un temps
a pu se maintenir par la solidarité de cette
entreprise de montres qui était devenue coopérative alors.
Et donc, si vous voulez, le sentiment de la communauté de destin aide beaucoup
l'entreprise à supporter les défis et les difficultés du monde extérieur.
Et si vous ajoutez le plein emploi de la personnalité,
et vous ajoutez la réalité,
disons, de cette société fondée sur l'unité et la diversité,
vous pouvez avoir, donc, quelque chose qui améliore
à la fois la vie même de l'entreprise, et à la fois sa rentabilité.
Autrement dit, il faut penser que
la vision de calcul qui est tout à fait nécessaire pour
calculer les bénéfices, pour calculer les salaires, pour calculer les frais,
mais que la vision des calculs ne va pas couvrir tout, et que il y a des réalités
humaines qui sont incalculables, que le calcul seul détruit l'humain,
et qu'il faut le reconstruire d'une autre façon.
Alors là, vous avez aujourd'hui quelques idées qui surgissent.
Vous voyez, par exemple, dans le CJD,
le Centre des Jeunes Dirigeants qui ont décidé,
eux, justement, de mettre l'humain au cœur de l'entreprise.
Vous avez ces idées d'entreprise citoyenne,
c'est-à-dire où l'entreprise est consciemment,
sait consciemment qu'elle fait partie d'un ensemble d'une société,
en l'occurrence la France, par exemple, et qui va lier,
essayer de lier son intérêt économique à l'intérêt
national dans lequel elle s'insère.
Il s'agit pas seulement que ce que les actionnaires bénéficiaires
évitent de placer leur argent en Suisse ou dans des paradis fiscaux,
il s'agit aussi que dans le fond, tout soit entrepris dans
le sens de favoriser la vie même de la nation.
Et à nouveau, donc, c'est toujours communauté,
solidarité que nous retrouvons, comme ça,
comme les deux pôles qui doivent nous guider notre pensée,
et qu'il faut savoir combiner.
Et je dirais que la communauté est une
condition de complexité dans toute société.
Parce que qu'est-ce que serait une société très complexe?
C'est une société qui donne beaucoup de liberté à ses membres.
Parce que à ce moment-là, chacun peut essayer de réaliser
au maximum ses aspirations, et serait fondé sur une très grande diversité.
Mais s'il n'y a seulement que cette liberté et qu'il
y ait pas le contrepoids d'une autorité coercitive de l'état, de la gendarmerie,
de la répression ou de la police, une telle société se disloque.
Mais si vous voulez une société très complexe avec un minium d'autorité
coercitive, avec un minimum de police, avec un minimum de gendarmerie,
alors, il faut que chaque membre de la
société ressente en lui-même un sentiment de solidarité,
de responsabilité avec les autres paires de communautés.
Autrement dit, la communauté est liée à la
complexité, elle est liée à l'exercice de la liberté individuelle.
Au lieu de voir séparément la chose, si je suis dans une communauté,
je suis prisonnier de cette communauté, et si je suis libre, et bien,
je suis indépendant de toute communauté.
Il faut voir au contraire que l'un est dans l'autre, et l'autre est dans l'un.
Et c'est dans ce sens que, si vous voulez, la communauté humaine permet à la liberté,
quand on l'assemble à responsabilité, que cette liberté ne soit pas criminelle.
Là encore, on ne peut pas empêcher tout crime et tout délit,
n'est-ce pas là aussi, il y a toujours un sous-sol de la société.
Mais on peut faire en sorte que liberté ne soit pas crime.
Pourquoi?
C'était le philosophe Hegel qui a dit : la liberté, c'est-à-dire le crime.
C'est-à-dire, il n'y a plus de contraintes, il n'y a plus d'interdits.
Non, évidemment, il faut que l'interdit soit dans l'esprit,
soit dans la tête, soit vécu.
Il faut pour ceci qu'on se sente membre d'une même communauté,
d'une même fraternité d'une même identité, et voilà donc,
à mon avis, quelques unes des voies pour
essayer de repenser ou de penser, tout simplement,
les problèmes de l'entreprise.