Donc, on peut créditer à la fois,
on peut trouver les bonnes raisons qui font que ce régionalisme a apporté un
plus à cette région et en même temps réfléchir aux conditions de son échec.
Alors, qu'est-ce qu'on peut tirer comme leçons de ce régionalisme arabe?
La première c'est d'avoir approfondi des régions dans le régionalisme arabe.
On va parler d'interrégionalisme plutôt que de régionalisme arabe puisque
au sein de ce régionalisme a été créée une union, comme l'Union du Maghreb
et qui a été créée aussi une coopération au sein des pays du Golfe,
le CCG, 1981, qui fonctionne bien et qui montre même une
évolution vers le rapprochement des pays du Golfe, des six pays du CCG.
Donc, on peut considérer qu'il y a eu quelque chose de positif ici,
bien que ce ne soit pas l'entièreté du monde arabe qui a été concernée
mais cette région particulière du Golfe.
Et si l'on veut véritablement réfléchir sur le régionalisme, essayer
de tirer des leçons en perspective, en comparaison avec d'autres régionalismes,
je dirais que ce régionalisme bat de l'aile pour trois raisons,
essentiellement, et je terminerai là-dessus.
La première a été au fond la force des clivages qui, au sein des nations arabes,
n'a pas permis ce rapprochement pour plusieurs raisons.
Des raisons essentielles qui tiennent au conflit israélo-arabe
et aux différentes visions que les Arabes pouvaient avoir
de ce conflit et de la manière de le résoudre.
Il tient aussi, on l'oublie trop souvent,
à une région qui était, deuxième raison, fortement pénétrée et
sur laquelle a pesé le conflit des grandes puissances à l'époque de la Guerre froide
et qui a fortement polarisé le monde arabe en plus de ses divisions internes.
Donc, la force des clivages nationaux, deuxièmement un système régional qui est
fortement pris dans la Guerre froide et qui est fortement susceptible
de plusieurs interventions étrangères et de plusieurs influences étrangères.
Et puis la troisième raison, c'est qu'au fond l'absence de coopération économique,
si l'on fait abstraction de l'expérience réussie du CCG, a véritablement conduit
ce régionalisme à connaître un ralentissement qui a été un ralentissement
extrêmement fatal pour lui, parce qu'il n'a pas permis cette extension,
la création d'un grand marché, l'expérience de l'UMA a été un échec de ce
point de vue, il n'y a pas de relations économiques, j'allais dire Sud-Sud,
entre les pays du monde arabe et les les pays du Maghreb.
Mais il reste, bien entendu, un formidable espoir qu'ont montré les printemps arabes,
qui ont véritablement montré un dynamisme, une prise de conscience aussi
de la place du monde arabe dans la mondialisation et une nécessité
de renouveler ou de faire en sorte qu'une approche démocratique puisse aussi
contribuer à faire circuler les idées et la coopération au sein du monde arabe.
Mais cela, bien entendu, c'est un projet pour l'avenir.
>> Donc maintenant on va écouter professeur Bertrand Badie pour nous donner
ses éclairages sur les expériences de ce régionalisme dans le monde actuel.
>> Merci, cher président.
Moi, je vais donner un point de vue différent et peut-être plus critique,
plus pessimiste que mes collègues.
Et peut-être aussi plus pessimiste que l'analyse que j'aurais pu faire il y
a quelques années.
Il y a quelques années, l'affaire était claire, le régionalisme c'était la
solution, c'est-à-dire une façon de gérer la mondialisation.
Aujourd'hui, on ne dit plus ça.
Aujourd'hui, le régionalisme est globalement en crise.
Ça ne veut pas dire qu'il va s'éteindre,
ça ne veut pas dire qu'il est pas porteur d'espoir et de réalisations,
mais il est en crise et il faut comprendre cette crise.
Et pour moi, cette crise renvoie peut-être à trois éléments de réflexion qui
s'appuient bien entendu sur l'expérience européenne, c'est peut-être pas un hasard
si, en tant qu'Européen, je suis le plus critique et le plus sceptique, mais qui,
je crois, s'appuie aussi sur d'autres réalisations et d'autres parties du monde.
La première crise elle est institutionnelle.
C'est-à-dire, on est arrivé au bout des possibilités institutionnelles en matière
de gestion de l'intégration régionale.
On a fait, en Europe en particulier, grande confiance aux institutions,
l'Europe, la Communauté européenne, puis ensuite l'Union européenne se sont
construites sur des inventions institutionnelles.
Ces institutions, on ne parvient pas à les reformer et on
ne parvient pas à les faire progresser et c'est déjà un signe de faiblesse.
Et pourquoi cette crise institutionnelle,
cette impasse dans l'invention de nouvelles institutions?
Eh bien, probablement, parce que on est arrivé
au maximum des possibilités d'abandon de souveraineté de la part des États.
Créer de nouvelles institutions,
c'est probablement mettre en danger les souveraintés ou ce qui reste de
souveraineté dans chacun des États et c'est probablement pour cela que l'Europe
ne cesse de devoir faire face à d'impossibles réformes institutionnelles.
On est arrivé au bout des possibilités de cette formule bizarre que l'on
appelait pool of sovereignties, ce pool de souverainetés, c'est-à-dire
cette addition de souverainetés, lorsqu'on additionne trop les souverainetés,
il y a un moment où elles ont tendance à se gêner les unes les autres.
La deuxième raison, c'est une question de méthode dans la régulation.
La régulation régionale a été basée,
à partir du lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sur l'idée d'union,
d'association, en s'associant on est plus fort, l'union fait la force.
Or, aujourd'hui,
on s'aperçoit que l'association n'est plus une solution et que face à
l'ampleur des problèmes rencontrés, face aux défis de la mondialisation,
ce n'est plus l'association qui est nécessaire, mais c'est la solidarité.
Passer du stakeholding, l'association, à la solidarité,
c'est-à-dire accepter les problèmes, les faiblesses,
les défauts de l'autre comme étant ses propres problèmes et ses propres défauts.
C'est quelque chose qui est extrêmement difficile et on l'a bien vu en Europe,
à travers la crise grecque, c'est-à-dire aider la Grèce,
c'est faire de la charité ou c'est faire de l'association
alors qu'aider la Grèce devrait être, en principe, la prise en charge directe, pour
le bien de tous les membres de l'Union européenne, des difficultés rencontrées.
La troisième raison, c'est qu'on assiste dans ce contexte,
à un réveil des nations qu'on ne sait pas gérer.
Mon collègue Joseph Maïla soulignait qu'il y avait l'idée d'une Nation arabe,
il y a jamais eu idée d'une Nation européenne,
je ne suis pas sûr qu'il y ait l'idée d'une Nation latino-américaine,
je ne suis pas sûr qu'il y ait une idée d'une Nation asiatique.
Le problème maintenant est tout entier.
Poser, comment se fait-il qu'en Europe, les opinions publiques nationales
soient de plus en plus défiantes à l'égard de l'Europe?
C'est parce qu'elles ne comprennent pas l'Europe,
parce qu'elles ne sentent pas représentées par les institutions européennes,
parce qu'elles ont le sentiment, comme l'indiquent les sondages d'Eurobaromètre,
que l'opinion publique ne peut pas
véritablement peser sur les choix européens.
Ce divorce qu'il y a entre la démocratie nationale
et les institutions communautaires,
c'est probablement une autre face grave de la crise du régionalisme.
>> Merci beaucoup, professeur Badie.
Je passe finalement la parole pour conclure notre
petite table ronde sur mondialisation et régionalisme à mon cher collègue
Félix Peña de Universidad Tres de Febrero.