[MUSIQUE] [MUSIQUE] Nous allons continuer dans cette séquence à évoquer les approches critiques de la race et de la postcolonialité toujours avec Noémi Michel mais cette fois nous allons continuer à décentrer notre regard afin d'évoquer la question des résistances comme vous l'avez souligné précédemment ainsi que dans vos travaux, ces approches ont proposé un véritable décentrement afin de penser le monde qui nous entoure, en rendant audible ce que vous nommez des grammaires politiques bien souvent marginalisées. À ce titre, quels sont les enjeux sociaux et politiques autour de ces résistances? >> Alors je voudrais mettre en avant peut-être deux manières dans ces approches rendre audibles justement, ces grammaires politiques, la manière dont aujourd'hui les personnes, les individus résistent, entrent en action politique premièrement, ces approches déplacent notre compréhension de >> de qu'est-ce qui compte comme action ou comme discours politique? Elles mettent notamment l'accent sur les micro-politiques du corps comme on l'a vu dans la séquence précédente la race investi les corps résister aux effets injurieux de la racialisation ça passe aussi par un travail de résistance avec, par et dans les corps. Alors pour donner un exemple, je voudrais citer les travaux de la chercheure historienne afro-américaine Saidiya Hartman qui travaille sur la condition d'assujettissement des personnes réduites en esclavage aux États-Unis elle, elle commente une pratique de résistance qui s'appelle le "stealing away", donc si je traduis ça veut dire "se voler soi-même" ça ça renvoie à la pratique des personnes réduites en esclavage qui pendant la nuit partaient par exemple de la plantation pour aller rejoindre un parent dans une autre plantation ou alors allaient se promener, échappaient temporairement au dispositif de domination et de déshumanisation de l'esclavage et le terme stealing away, se voler, met bien en avant à quel point ces personnes n'étaient pas en possession d'elles-même, de leur corps donc une résistance c'est de mettre en mouvement son corps autrement que de la manière dont il est mis en mouvement obligatoire dans l'institution de l'esclavage. Un autre exemple issu de mes travaux et plus contemporain, j'ai montré comment certains discours aujourd'hui en Suisse et en France surtout exprimés par des personnes marquées par la résistance raciale articulaient une grammaire de la blessure, donc une grammaire très subjective, où en fait les personnes disaient qu'elles étaient blessées par des mots et des images qui circulaient dans l'espace public, donc des mots et des images racistes et puis on peut se demander à première vue mais parler de blessure, est-ce que c'est pas hautement subjectif, qu'est-ce que ça a de politique? à partir des approches critiques de la race et de la postcolonialité on peut faire une lecture politique de cette grammaire, et on peut montrer que clamer qu'on est blessé ça peut aussi vouloir dire demander l'égalité, c'est ce que j'ai essayé de montrer dans mes travaux donc voilà un premier déplacement ou un premier apport des approches critiques de la race et de la postcolonialité pour comprendre ce que c'est la grammaire politique c'est que elles mettent en avant des formes d'action et des formes de discours qu'on peut-être a priori penserait qu'ils ne sont pas politiques. Un deuxième apport, c'est qu'elles permettent aussi de complexifier les registres politiques et la grammaire politique. Là je vais prendre comme exemple les mouvements féministes donc si on pense aux années septantes dans les espaces européens notamment, beaucoup de féministes revendiquaient le droit à l'avortement donc on était dans un contexte de politisation de la question de la reproduction de l'humain cette politisation de la reproduction, elle va se comprendre différemment si on la conçoit à partir de l'histoire et des espaces et des corps qui ont été soumis au colonialisme et à l'esclavage parce que parallèlement à cette lutte pour l'avortement dans les années septantes, il y avait des femmes noires, qui luttaient au contraire pour le droit d'être mère et qui luttaient contre des formes de stérilisation forcées et ces formes de stérilisation forcées pour comprendre leur signification à cette époque, il faut les replacer dans la longue histoire de la dépossession des enfants et le contrôle des naissances des femmes qui vivaient dans des espaces colonisés ou dans des dispositifs de réduction à l'esclavage, donc c'est là où on voit que la grammaire féministe devient beaucoup plus complexe, si on la décentre de certaines histoires de certains espaces et si on prend en compte des non-histoires de sujets qui ont été marqués par la différence raciale et on voit à quel point c'est important de prendre en compte la racialisation de rapport de pouvoir de genre. >> Noémi Michel merci >> Merci à vous. [MUSIQUE] [MUSIQUE]