[BRUIT] Cette troisième session, que nous allons intituler Ne pas avoir de certitude mais inspirer confiance, ça va être le moment des questions plus intimes du dirigeant face à la prise de décision dans la crise. Nous avons déjà abordé l'acceptation des émotions, l'utilisation du temps, mais ici, il va être question de solitude, de courage et d'intuition pour le décideur. Le premier point que je souhaite clarifier, c'est le rôle entre le chef et le leader. Pour commencer il paraît utile de clarifier ce positionnement. Il est important de comprendre la dualité des rôles. En particulier en périodes de fortes tensions, la complémentarité sera une force à condition d'être respectueuse. Cette collaboration est à la fois humaine et technique. Le chef est en charge de la stratégie pendant que le ou les leaders impulsent une dynamique opérationnelle et une cohésion des équipes. Le leader doit impérativement avoir l'humilité qu'impose une place de subalterne. Le bon leader est un bon follower. Ce positionnement très terrain le rend authentique et légitime pour les équipes, ce qui va lui conférer la force de l'engagement et sa capacité à fédérer malgré la difficulté. Le chef, lui, doit savoir s'appuyer sur des leaders de terrain. Il gagnera à travers eux la confiance collective et l'exécution de missions malgré l'incertitude. Il aura ainsi plus de sérénité pour exercer un pouvoir stratégique tout en ayant un lien direct avec le terrain, sa base. Il n'existe pas un profil type de leadership dans l'incertitude, mais nous l'avons dit, ce leader doit inspirer confiance. Dans des situations complexes et difficiles, le leader, le décideur, souffre souvent de solitude face à la décision. Il puise donc sa confiance dans le collectif qui l'accompagne, mais aussi dans un excellent niveau de maîtrise technique. Néanmoins, il doit savoir accepter une part interne de doute. Nous ne sommes pas dans des choix rationnels en cas de crise. Le décideur se trouve donc seul au moment de ses choix. Le courage du leader est forcément associé à de la prudence. Ce n'est en rien de la témérité. Cette capacité à vaincre ses doutes, ses peurs, va jouer sur la confiance collective, c'est à ce moment-là qu'il gagnera la confiance de ses équipes. Quand on parle de prudence, ce n'est pas synonyme de lenteur dans la décision. Si on regarde, par exemple, du côté des neurosciences, Daniel Kahneman a parfaitement décrit les deux vitesses de la pensée. Pour faire simple, il existe en chacun de nous un mode rapide, plus instinctif, et un mode lent, plus réfléchi. Évidemment que, par rapport au contexte de crise, la manière de prendre une décision sous stress fait principalement appel au système rapide. Mais comme l'explique l'auteur, les biais cognitifs sont un risque permanent source de nombreuses erreurs. Pour ne pas freiner le décideur, il doit avoir, évidemment, une énorme confiance dans sa capacité à décider, à suivre son système rapide tout en écoutant une petite lumière qui le tempère. Cette capacité à la prise de décision sous stress est un apprentissage permanent. Il existe indéniablement une part d'idées, mais aussi une part acquise par l'expérience. Si l'on préfère, il est possible de fonctionner en binôme. C'est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre, et cela demande une confiance réciproque exceptionnelle, et ce binôme serait, par exemple, constitué d'un profil rapide et d'un profil lent. En tous cas, il est important d'associer prudence et détermination dans la technique de prise de décision, même si la situation exige de l'urgence. La communication, tant verbale que non verbale, sera le parfait reflet de ce positionnement entre détermination et prudence. Je vais parler maintenant d'intuition. Pour compléter sur la position du leader et la prise de décision sous stress, nous devons nous étendre à cette notion d'intuition. Face à l'incertitude et le hors cadre, il est demandé à chacun, au décideur, qu'il soit chef ou leader, en particulier d'apporter de la créativité, d'être capable d'évoluer dans du hors cadre, hors des process et des plans. Mais attention : cette notion ne doit surtout pas être un refuge aux comportements dangereux. L'intuition est différente de l'instinct. Il existe de nombreuses définitions de l'intuition, mais nous savons au fond de nous ce que représente notre intuition. Elle nous permet un gain de confiance quand la situation l'impose, elle est souvent basée sur le fruit de nos expériences passées et en particulier de nos échecs. Mais le plus important est la manière dont l'intuition personnelle sera transformée en projet collectif. Justement, le leader doit savoir être prudent et apporter non pas une intuition, mais des décisions qui rassurent. Dans l'incertitude, il n'existe probablement pas de frontière entre les deux. Charge au leader de laisser penser que sa décision, que ses actions, sont parfaitement rationnalisables. Enfin, pour terminer, je parlerai de l'après-crise, on ne peut pas terminer cette session sans en parler. La prise de décision est synonyme de prise de risque. L'humain est soumis à de nombreux biais. Il est imparfait. Il va donc devoir accepter cette part de risque et d'erreur. Il est important d'intégrer très précocement, dans la préparation des organisations qui seront amenées à piloter de la crise, ces notions-là. Le risque et l'erreur doivent être acceptés collectivement. Cela introduit automatiquement la notion de responsabilité, une responsabilité non pas dans le sens juridique du terme, mais une responsabilité managériale où elle est en même temps collective et exemplaire. Pour optimiser la sortie de crise, donner du sens à cette période critique est une source de performance et d'identité collective. Il est facile de redonner du sens à l'engagement pendant la crise, et il faut savoir l'utiliser et optimiser pour construire l'avenir. Les équipes qui interviennent dans la crise ou dans le danger cultivent cela : les pompiers, les policiers, les militaires. Il est important d'introduire dans la préparation une culture forte du retour d'expérience, du retex. C'est synonyme d'organisation apprenante mais c'est exigeant. La méthodologie du retex doit aussi être anticipée pour apporter une analyse constructive. Elle doit être validée par l'ensemble des acteurs et probablement inscrite dans des conventions collectives. La méthode doit parfaitement coller à chaque organisation, à la cartographie collective et aux qualités individuelles, en particulier de la direction. Les points essentiels que l'on peut retrouver systématiquement dans la création d'un retour d'expérience, c'est une analyse la plus factuelle possible et séquençable, s'appuyer sur des outils d'aide temporelle et spatiale de l'analyse, une prise de parole uniquement constructive, travailler sur des plans de table, piloter par un sage détaché du pilotage opérationnel, optimiser la responsabilité collective et la non punition, et enfin, produire des tableaux de synthèse, sources des enseignements et des travaux futurs à engager. En conclusion, la position du décideur, que ce soit le chef ou que ce soit un leader de terrain, dans des situations de crise n'est pas une chose facile. Elle ne doit en rien être source de valorisation, car elle invite, au contraire, à encore plus d'humilité. En revanche, comme nous l'avons dit dans les trois sessions, elle impose une préparation très exigeante. Un dirigeant peut se faire accompagner pour optimiser sa propre méthode et ses propres outils. Mais il est évident que cette fonction est un exercice solitaire. L'équipe est là pour renforcer la confiance en soi du décideur, indispensable dans les situations les plus difficiles. L'objectif, au-delà de la capacité à répondre à la crise, est la construction des améliorations après chaque crise, source de performance et de sens de l'engagement. [AUDIO_VIDE]