[MUSIQUE] [MUSIQUE] Pour faire face à la Tragédie des biens communs, et résoudre les problèmes d'action collective, nous venons de voir qu'il est extrêmement important de bâtir, de construire, des systèmes de règles propices à l'encadrement des usages et à la coordination entre les usagers. Traditionnellement, la théorie économique entrevoit deux possibilités pour contrôler ce type de problème d'action collective. L'État, d'une part, l'action publique, et le marché, la privatisation, d'autre part. Elinor Ostrom, économiste et politologue, va quant à elle faire émerger une troisième voie possible, qui est celle de la gestion communautaire des ressources comme potentielle voie de collaboration pour limiter les problèmes d'action collective. C'est ce que nous allons voir dans cette séquence où l'on s'intéressera plus particulièrement à cette troisième voie. Mais revenons tout d'abord à la question de la privatisation. La première méthode pour éviter la Tragédie, c'est la privatisation. Cette privatisation, en réalité, peut prendre différentes formes. À travers la carte que l'on voit ici, on observe que les états se sont par exemple partagé la haute mer pour encadrer leur stock de poissons et leur prélèvement de la ressource halieutique, donc la ressource de poissons en haute mer. On observe là les zones économiques exclusives qui ont été définies par le droit de la mer et qui forment autant d'espaces plus ou moins privatisés de gestion de la ressource, des espaces qui auparavant étaient libres. Cette forme de privatisation, d'enclosure en anglais, de clôture, est assez diffusée dans le monde. Les pâturages d'antan, les pâturages de l'ancien régime, ont été progressivement privatisés, découpés en différentes parcelles. Pour l'exploitation des ressources de poissons, on a mis en place des quotas qui sont une forme de privatisation de la ressource commune. La privatisation de la ressource commune est une solution possible pour limiter la Tragédie. Seulement, elle peut poser quand même des problèmes. Par exemple, pour reprendre le cas de nos poissons, et bien les poissons, les espèces migratrices tel que le thon, ont une fâcheuse tendance à migrer d'une zone à l'autre. Et dans ce cas-là, la clôture, l'enclosure, ne fait tellement sens et ne permet pas de réguler la surexploitation. C'est d'ailleurs pour cela que dans certaines zones économiques exclusives, on surexploite le thon, au détriment des pays voisins. La privatisation peut aussi simplement poser d'autres problèmes telle que la dénaturation-même du principe du bien commun. À partir du moment où un bien commun devient privé, la liberté d'accès de tous, la notion même de partage et d'échange, de partage des usages, s'évanouit. Et quelque part, on perd finalement l'essence-même du bien commun. C'est ce que le politologue John Vogler appelle la Tragédie de la dépossession qui succède à la Tragédie des communs en elle-même. La seconde voie, c'est celle de l'État. L'État, c'est finalement la méthode la plus classique que l'on connaît d'encadrement, de régulation des problèmes de Tragédie des communs. L'État en fait se dote de règles pour encadrer le fonctionnement de la ressource et les droits d'usage, que ce soit pour la ressource en eau, les politiques d'aménagement du territoire par exemple, qui contraignent notre usage du sol, ou encore l'usage de l'air ou de la forêt. Bref, toutes ces politiques publiques qui encadrent nos droits d'usage et notre usage des ressources en eau, des ressources sol, sont au fondement des politiques environnementales classiques. C'est une deuxième façon déjà d'encadrer le comportement individuel des usagers, et éventuellement, de le contrôler. Elinor Ostrom, prix Nobel d'économie et première femme prix Nobel d'économie en 2009, a, elle, envisagé et surtout approfondi, une troisième voie, une troisième potentialité de gestion des biens communs. C'est la voie communautaire. Elle va en fait prendre au sérieux une méthode assez traditionnelle de gestion des ressources communes, c'est-à-dire des communautés qui s'assemblent autour d'une place de village simplement pour discuter ensemble de l'administration de leurs biens communs. En fait, Elinor Ostrom est quelqu'un, un personnage assez optimiste, et elle croit fondamentalement dans la capacité des hommes à gérer leurs ressources communes et leur environnement. Elle va parcourir le monde, et à travers toutes ces études de cas, elle va essayer de comprendre comment ces individus, ces collectifs, assemblés autour de la gestion commune d'une ressource, parviennent à se mettre d'accord et à atteindre une gestion durable, c'est-à-dire qui évite la surexploitation et qui permette la reproduction dans le temps de la ressource. Pour Ostrom, le privé, la gestion privée et l'État ne sont pas les seules voies. La voie communautaire en est une et elle va essayer de démontrer qu'elle est tout aussi performante, sinon plus performante que les deux voies que nous venons de citer précédemment. Elle va donc étudier ces communautés, qu'elle appelle des common pool ressources institutions, donc des organisations de gestion communautaire de la ressource. À partir de là, elle aura quelques cas emblématiques. Le premier, c'est le cas de communautés d'irrigation au Népal, qui se regroupent pour gérer des canaux d'irrigation, et à partir de cette étude de cas, elle va affirmer ainsi que les fermiers, les paysans, qui disposent de droits de propriété durable sur la ressource, qui sont capables d'échanger entre eux, de communiquer, de créer leurs propres accords, et de créer aussi leur propre dispositif de pilotage de la ressource, de contrôle, de monitoring de la ressource et de sanctions, ces usagers sont en mesure de gérer de façon durable leur équipement, donc leur réseau, de distribuer plus d'eau et de façon plus équitable entre eux, tout en limitant la surexploitation. Selon elle, ces usagers népalais font mieux, sont plus performants que l'État ou que toute autre forme de gestion gouvernementale et privée. [AUDIO_VIDE] Voilà pour l'exemple du Népal. Ostrom va aussi s'appuyer sur les études de cas d'un anthropologue américain, Robert Netting, qui a étudié différentes communautés en Afrique, mais aussi en Suisse. L'anthropologue s'est notamment intéressé à la communauté de Törbel, en Valais, et il va montrer que cohabitent chez les paysans de Törbel dans le canton de Valais, en Suisse, différents modes de propriété. Dans leur ferme, à proximité de leur ferme, ils ont des pâturages à l'année pour faire paître leurs vaches et leurs moutons. En revanche, pour les estives, donc pour les alpages, là ils disposent d'une propriété collective, propriété communautaire. C'est vrai que c'est intriguant parce que du coup on peut se poser la question pourquoi simultanément des paysans adoptent la propriété privée à proximité de leur ferme, et la propriété communautaire dans les alpages. Et en fait, ce que nous explique Robert Netting, c'est que ces fermiers, ils ont bien compris leur intérêt. Les alpages sont d'une fertilité assez inégale d'une saison à l'autre. Une saison, ce sera un coin de la montagne qui sera plus fertile, la saison d'après, un autre endroit. Et du coup, ils ont intérêt à partager tous ensemble la propriété commune de leur alpage pour en tirer le meilleur bénéfice. Et ça, ça fait dire à Robert Netting qu'il n'y a pas a priori un mode de propriété qui est supérieur à l'autre. Dans certains cas, la propriété privée peut être intéressante, justement à proximité de la ferme, pour au quotidien gérer ses bêtes. Et dans d'autres cas, la gestion communautaire peut être plus performante. C'est sur la base de ses travaux que en fait Elinor Ostrom va reconnaître que la gestion communautaire peut être intéressante, d'une part, c'est-à-dire qu'elle peut mener à une gestion durable et équitable de la ressource, si les usagers se dotent d'instruments et d'institutions performantes, on y revient dans quelques instants, mais aussi que finalement la propriété privée, la propriété publique, la propriété communautaire, sont autant de modes de propriété qui peuvent être adaptés à des situations, qui peuvent se compléter, voire se mixer, se mélanger, et c'est sur cette base que l'on peut atteindre en quelque sorte une gestion plus durable des ressources, en prenant en compte cette diversité et en n'essayant pas d'affirmer qu'un mode de propriété ou un mode de gestion est supérieure à l'autre. Sur cette base, Elinor Ostrom et son équipe vont étudier près de 250 cas de gestion communautaire de l'eau et des ressources communes dans le monde. Et elle va édicter toute une série de principes, de principes directeurs pour la ressource elle-même et sa gestion, mais aussi pour le comportement des usagers. Ces principes, ce sont les fameux attributs et principes d'Ostrom que nous allons présenter ensuite. [MUSIQUE] [MUSIQUE]