[MUSIQUE] [MUSIQUE] Avant de traiter plus spécifiquement des questions d'hydrohégémonie, je voudrais aborder avec vous les questions de conflits et de coopérations autour des cours d'eau transfrontières, et plus particulièrement le grand débat sur les fameuses guerres de l'eau. Les guerres autour de l'Or bleu sont-elles les guerres du futur, comme on l'entend souvent dans les médias? C'est la question. Et je vais pour cela vous présenter les travaux d'un politologue, Aaron Wolf, qui, à travers ce schéma, a restitué l'ensemble des interactions possibles autour des cours d'eau transfrontaliers dans le monde. Et des ressources en eau en général. Et Aaron Wolf, en fait, a identifié, a recensé scrupuleusement, toutes les interactions autour de l'eau. Et qu'est-ce qu'il observe tout d'abord? C'est qu'on ne compte que sept guerres de l'eau, depuis la seconde guerre mondiale. Je peux vous les citer. Il s'agit tout d'abord de la partition entre l'Inde et le Pakistan, il s'agit du conflit entre Israël et la Syrie en 1951, d'un bref conflit entre l'Égypte et le Soudan, sur lequel on reviendra dans quelques séquences, en 1958, un court conflit aussi entre l'Éthiopie et la Somalie en 63, ou encore, en 1975, un conflit entre la Syrie et l'Irak au sujet de l'Euphrate. Enfin, le tout dernier conflit que l'on recense autour des ressources en eau, c'est en 1991 entre le Sénégal et la Mauritanie. Et en plus, Aaron Wolf nous dit que, sur ces quelques conflits, la très grande majorité, 80 %, ne sont en fait pas seulement liés à l'eau. Très fréquemment en fait, les États véhiculent un discours autour des guerres de l'eau, discours conflictuel ou belliqueux lié à l'eau, mais en réalité les guerres de l'eau ne sont pas systématiquement, ou uniquement, liées à l'eau. Et on observe d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte. Mais ce schéma, ce graphique que nous propose Aaron Wolf, a aussi une autre vertu. C'est que, vous observez bien, au centre, une diffusion très très large de toute une série d'interactions d'intensité moyenne. Que ce soit des conflits de faible ou de moyenne intensité. Ce que l'on appelle aussi des conflits froids, ou larvés, où l'on en reste à des échanges de paroles, et des échanges de reproches. Et surtout une très très large diffusion des coopérations autour de l'eau. Et là, ces données nous sont aussi corroborées par les statistiques réalisées par l'Organisation mondiale de l'alimentation, qui, depuis l'année 805 après Jésus Christ, jusqu'en 1984, recense plus de 3 600 traités liés à l'eau, ainsi que 345 traités, plus particulièrement après la seconde guerre mondiale. On voit donc que la coopération c'est la grande, grande, grande majorité des relations entre états autour des ressources en eau. Et c'est bien normal. Car il faut bien comprendre que les États ont, malgré tout, assez peu intérêt à se faire la guerre pour des ressources, car il est finalement très coûteux de lancer une guerre alors que, trouver des voies de coopération est forcément bien plus bénéfique, au plan économique, pour partager ensemble cette ressource équitable. Ceci nous amène donc, à rentrer un petit peu plus en détail sur cette zone grise de conflits froids ou de conflits de moyenne intensité et de coopérations, qui représente l'essentiel des relations entre États. Et là, je voudrais, avec vous, battre en brèche deux grandes idées reçues. La première, c'est que les conflits sont plus négatifs que la coopération, et que la coopération est forcément supérieure. Et ça c'est un point qui prête à discussion. En effet, il y a toute une série d'exemples où nous avons des coopérations, on va dire asymétriques, où un acteur domine les autres, et où la coopération masque en fait une relation tout à fait inéquitable, ou injuste, en termes de distribution et de partage des ressources en eau. Comme le diraient les politologues qui ont travaillé sur ces questions, "not all cooperation is pretty", toute coopération n'est pas valable, en quelque sorte, et n'est pas louable car elle peut masquer des situations asymétriques et d'hégémonie, finalement, aux dépens de pays qui ne bénéficient pas à un titre équivalent de la ressource. Réciproquement, on peut aussi dire que le conflit n'est pas forcément négatif. Et il ne s'agit pas là de faire l'apologie de conflits violents, bien sûr, armés, autour des ressources en eau, mais simplement de mentionner que un conflit froid, ou un conflit verbal, qui essaie de rétablir une situation injuste par exemple, et de rendre un partage plus équitable de la ressource, peut être intéressant, à un moment donné, pour faire évoluer la coopération vers un avenir plus serein et un partage plus équitable de la ressource. La deuxième question, et la deuxième idée reçue que je voulais battre en brèche aujourd'hui, c'est que le conflit et la coopération ne s'opposent pas forcément. Effectivement, on a souvent tendance à opposer et à mettre à deux niveaux d'un même continuum, le conflit et la coopération. Or, tel n'est souvent pas le cas dans les relations entre États. En effet, on observe fréquemment, que deux États parfois simultanément, et surtout autour d'un même cours d'eau, peuvent, en même temps, coopérer autour de certains enjeux, travailler ensemble, avancer ensemble sur ces enjeux, tels que la navigation, ou la protection de la ressource et des écosystèmes, et, tout aussi simultanément, travailler plutôt dans un contexte plus conflictuel, autour du partage des quantités d'eaux, des questions d'irrigation ou d'hydro-électricité. Ce genre de situations, où l'on a des relations réciproques de conflits et de coopérations entre États est beaucoup plus fréquent que ce que l'on croit. C'est même la majorité des cas, où l'on a, ni des relations complètement harmonieuses entre les États, ni des relations complètement belliqueuses. Et cela nous montre une chose essentielle, c'est que le conflit et la coopération peuvent se nourrir mutuellement et qu'il est donc plutôt nécessaire de parler d'interactions transfrontalières autour de l'eau, plutôt que de simples coopérations. Ces interactions, pour mieux les comprendre, pour mieux les appréhender, il faut maintenant évaluer les relations de pouvoir entre les États qui partagent la ressource en eau. Et pour ce faire, nous allons rentrer dans le vif du sujet, avec la grille d'analyse de l'hydrohégémonie, qui va nous amener à mieux comprendre comment les États s'engagent réciproquement dans ces interactions en fonction de leurs puissances respectives. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]