[MUSIQUE] [MUSIQUE] Avec le cas du Nil, nous allons prendre un exemple qui permet d'illustrer parfaitement le concept d'hydro-hégémonie, et des relations de pouvoir entre l'amont et l'aval d'un bassin versant. Le Nil est le plus grand fleuve d'Afrique, à lui seul il représente 10 % du continent africain. Il est partagé entre 11 pays, et ses deux affluents, le Nil bleu, qui prend sa source en Éthiopie, et le Nil blanc, qui prend sa source au Rwanda, apportent une quantité d'eau considérable à l'Égypte, qui est le pays situé en aval. Le Nil blanc, représente 30 % du débit du Nil à son estuaire, alors que le Nil bleu représente 70 %. Avec ce cas, nous allons voir que la position de l'Égypte, qui est pourtant située en aval, est une position d'hydrohégémon, qui lui a été donnée avant tout par le droit, par les droits historiques acquis à la période coloniale. Le tout premier traité qui entérine la position dominante de l'Égypte, est celui de 1902. Ce traité interdit, par exemple, à l'Éthiopie, qui est située en amont, de développer des projets hydrauliques. C'est en 1929 que la position égyptienne est encore plus entérinée avec un accord qui va donner à l'Égypte des quotas et des droits exclusifs d'accès à la ressource en eau. Cet accord permet également à l'Égypte de mettre son veto sur les projets hydrauliques développés par les États en amont. Il va être évidemment dénoncé par ces États, tels que l'Ouganda, ou le Kenya, qui vont justement reprocher un accord qui entérine une position asymétrique, d'hégémonie, sur des bases de légitimité avant tout coloniales, et pas sur des bases de négociations politiques régionales. Et puis, le troisième accord, qui va entériner une position peut-être encore plus dominante de l'Égypte, c'est l'accord de 1959. Celui-ci est négocié suite à un bref conflit entre l'Égypte et le Soudan. Il va entériner cette fois une position encore plus dominante de l'Égypte, et laisser une place au Soudan dans le partage de la ressource en eau. En effet cet accord prévoit que l'Égypte dispose de 58 millions de mètres cubes d'eau par an, pour ses propres usages, et le Soudan 18 millions de mètres cubes. Tous les autres pays riverains, en amont, les neuf autres pays riverains ne sont pas du tout concernés par cet accord, qui, finalement, donne, offre à deux pays en aval la quasi totalité des quotas d'eau du bassin du Nil. On le voit donc bien, le concept d'hydrohégémonie permet de voir que le pays en aval peut être, dans certains cas, le plus puissant. Alors je vous propose maintenant de rentrer plus en détail sur la position de l'Égypte, et de mieux comprendre sur quoi se fonde cette position dominante. L'Égypte est, tout d'abord, la superpuissance régionale, tant aux plans technique, économique que militaire. On l'a vu, c'est un enjeu clé, une des dimensions clés de l'hydrohégémonie, et ce rapport de puissance, il trouve sa source dès la prise d'indépendance de l'Égypte, dans les années 40, 50, après guerre, où va être décidée la création du barrage d'Assouan, qui va être le dispositif technologique, la grande infrastructure, qui va permettre à l'Égypte d'être autonome au plan énergétique, et donc de développer toutes ses capacités industrielles. Le barrage d'Assouan est décidé en 1948, il est inauguré en 1971, et à lui seul, il permet de stocker plus de 169 milliards de mètres cubes d'eau qui vont permettre à l'Égypte de développer son secteur agricole, mais aussi d'asseoir son processus rapide d'urbanisation, pour lui permettre l'accès, par exemple, à l'eau potable. Par contraste, les quelques barrages qui ont été construits en amont, au Soudan, sous le protectorat égypto-britannique, ne concernent que six milliards de mètres cubes qui tranchent avec donc les 169 milliards de mètres cubes dont on vient de parler, des grandes infrastructures égyptiennes. C'est dire à quel point la position, et la supériorité technologique de l'Égypte, jusqu'à une période récente, est extrêmement forte. L'Égypte bénéficie de ses 55, 58 milliards de mètres cubes liés à son quota, mais elle bénéficie également de six milliards de mètres cubes qui lui sont cédés par le Soudan, sur ses propres quotas de l'accord de 1959, et qui sont aujourd'hui l'objet de toutes les interrogations, nous allons y revenir dans la prochaine séquence. L'économie égyptienne est donc une économie fondée sur le développement hydraulique, sur le développement de l'hydro-électricité, avec le barrage, mais aussi sur la capacité de stockage de cette eau, qui va être mise au profit du développement économique du pays. Le deuxième point qui permet de qualifier la dépendance, et l'exploitation économique de la ressource, c'est la croissance démographique. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le mentionner, l'urbanisation est rapide en Égypte. Encore à l'heure actuelle, la croissance démographique est de deux pour cent. Ce qui veut dire qu'elle se concentre, avant tout, dans des ères telles que le delta du Nil, qui sont étroitement dépendantes d'une ressource en eau abondante, pour l'eau potable et pour la survie de ces populations urbaines. L'Égypte et le delta du Nil sont parmi les zones les plus densément peuplées au monde, avec une croissance qui va mener cette région urbaine, cette conurbation du delta du Nil, de 80 millions à 100 millions d'habitants d'ici 2025, et qui justifie des besoins en eau toujours plus importants. Il y a donc un risque de pénurie hydrique sur le delta du Nil, mais à l'échelle de l'Égypte dans son ensemble, et l'on peut comprendre que ce soit un objet de préoccupation pour l'État égyptien. Mis à part donc le complexe hydro-électrique et industriel, les questions démographiques que l'on vient de voir, le troisième point c'est le développement du secteur agricole, qui est extrêmement consommateur d'eau, et ce depuis les années 50. Le secteur agricole égyptien représente à lui seul 30 % de la population active. Et il est fondé sur des développements d'une agriculture intensive et surtout d'une agriculture qui est localisée dans le désert, dans des oasis agricoles, qui ne sont fondées que sur une alimentation artificielle, grâce à la création de canaux artificiels pour irriguer les cultures. Là aussi, c'est tout le développement économique de l'Égypte qui est en jeu, un de ses premiers secteurs d'activité. Et l'on voit bien donc, à travers ces trois enjeux, démographique, agricole, industriel et énergétique, que l'Égypte dépend, très très fortement, de l'eau, pour son propre développement. Voilà donc pour les questions de potentiel économique et de potentiel industriel qui fondent une des dimensions de l'hydrohégémonie égyptienne. La deuxième dimension, c'est celle du pouvoir. Elle aussi elle est construite, comme j'ai déjà eu l'occasion de le mentionner, elle est construite, et on voit bien que la position égyptienne, elle est dominante à plus d'un titre en termes de puissance, au regard des autres pays en amont. Tout d'abord, eh bien l'Égypte dispose d'une position avantageuse grâce aux accords internationaux. On l'a mentionné, des quotas qui lui donne clairement un droit sur la ressource pour plusieurs années. Car ils n'ont pas d'échéance, à priori, ces accords internationaux. Toujours en termes de pouvoir et de puissance, l'enjeu de la sécurisation de l'eau est tout à fait central, en Égypte. Qui va politiser, sécuriser, et faire de l'eau un enjeu stratégique, et ce depuis la création du régime de Nasser après guerre. On retrouve ici trois citations, une de Sadate, qui était président égyptien à l'époque, une de Boutros Boutros-Ghali, qui, avant d'être Secrétaire général des Nations unies, fut ministre des Affaires étrangères égyptien, et une troisième citation d'Hosni Moubarak, avant sa destitution, et tous les trois, on le voit bien, accordent une importance centrale à l'eau, comme objet potentiel de conflit et en tout cas comme enjeu stratégique à l'égard des pays voisins. Nous avons donc là creusé en profondeur la cas de l'Égypte qui nous permet de voir, et de mieux comprendre sa position d'hydrohégémon. Et son rapport, absolument vital, sécuritaire, à la ressource du Nil. Dans la prochaine séquence, nous allons maintenant nous intéresser aux pays amont, et à leurs stratégies, et à la façon dont ils s'accommodent ou pas de cette position de dominés vis-à-vis du pouvoir et de la puissance égyptienne. [MUSIQUE]