[MUSIQUE] [MUSIQUE] Nous allons maintenant nous intéresser au cas des pays en amont. Nous allons voir comment leur position a évolué au fil du temps, et je vous propose de rentrer tout de suite par le cas du Soudan. Je vous rappelle que le Soudan a bénéficié, depuis l'accord de 1959, d'un quota assez favorable, puisqu'il a 18 millions de mètres cubes de droits de prélèvement sur le cours du Nil. Mais il en cède jusqu'à l'heure actuelle, jusqu'à la période récente, six millions de mètres cubes à l'Égypte. Alors, depuis la pacification des relations entre le Soudan et le Sud Soudan, on a observé un développement de toute une série de projets hydrauliques et de nouveaux projets de barrages au Soudan, notamment par des investissements d'entreprises ou d'États étrangers. Les plus importants sont sans doute les investissements chinois, mais également des investissements de pays arabes, voisins. Alors ces investissements vont permettre au Soudan de créer toute une série d'infrastructures. Le premier c'est le barrage de Merowe, qui sera inauguré dans le nord du pays en 2009. Mais il y a de nouveaux projets en cours. Alors, pour l'instant, cela ne déstabilise pas totalement les relations hydriques entre les différents pays, car le Soudan peut rester dans son enveloppe de 18 millions de mètres cubes, mais toutes les projections nous montrent que, à terme, il est clair que le Soudan va de moins en moins avoir la capacité, la possibilité, de céder ces six millions de mètres cubes à l'Égypte. Alors, tout cela peut nous amener à remettre en cause les relations, jusqu'alors relativement équilibrées, entre l'Égypte et le Soudan. Vous vous souvenez peut-être que je vous ai expliqué que le conflit et la coopération ne sont pas deux dimensions qui s'opposent. Avec le schéma suivant, je vous propose de rester un instant sur les relations historiques entre le Soudan et l'Égypte, et, au vu de tout ce que nous avons pu vous présenter, de les discuter. Vous voyez, en première étape, que l'on part d'une situation, finalement, où les relations sont assez équilibrées. Où l'intensité du conflit est relativement faible. Et les relations entre États sont avant tout là pour, justement, coopérer et éviter tout risque de conflit. Ceci jusqu'en 1959, et ce bref conflit qui va imposer la renégociation de l'accord, et qui va permettre au Soudan de disposer d'un quota plus important d'eaux du Nil. Ce conflit de 1959 va ouvrir une nouvelle voie, qui sera avant tout dédiée à une coopération approfondie sous les gouvernements pro-égyptiens qui vont être en charge, justement, de la gestion politique du Soudan. Ces gouvernements vont surtout travailler à des relations pacifiées avec l'Égypte, et, justement, à limiter tout risque de conflit entre l'Égypte et le Soudan. Puis, au cours des années 90, on revient vers une situation où le risque de conflit est plus présent, avec l'arrivée au pouvoir d'Omar el-Béchir, qui au Soudan va contester progressivement la position de l'Égypte, et impliquer un retour des discussions autour du partage des eaux du Nil. Alors, on voit là que les relations, les interactions transfrontalières autour des ressources en eau sont évolutives, tout à fait mêlées de conflits et de coopérations, et nous permettent de voir comment ont évolué ces relations au fil du temps. Maintenant je vous propose de nous concentrer sur le cas de l'Éthiopie. Le cas de l'Éthiopie vous sera aussi développé par l'intervention de Rawia Tawfik en prochaine séquence, mais il est relativement similaire en quelque sorte à celui du Soudan. C'est aussi l'histoire d'un pays qui connaît un développement technologique récent, l'arrivée de nouvelles capacité d'investissements étrangères, ou aussi d'aides de la Banque mondiale, pour son développement économique. Et c'est aussi un pays qui va développer toute une série de barrages dont le plus important est le barrage de la Renaissance, qui sera à terme un des plus grands barrages du monde. Et ce barrage est le symbole de la stratégie de développement éthiopienne, qui passe par l'hydraulique, tout comme ce fut le cas pour l'Égypte après guerre. L'hydraulique qui sert à la fois à la construction de barrages hydro-électriques et d'infrastructures d'irrigation. À ce stade, on ne peut pas dire que les stratégies de développement éthiopiennes remettent complètement en cause les relations hydriques entre les États. La création de barrages hydro-électriques au fil de l'eau n'altère pas fondamentalement le cours du fleuve, et les projets d'irrigation sont encore à l'état de projets et n'opèrent pas de prélèvements massifs. Mais il est très clair que si l'on prolonge les tendances, la position éthiopienne présage des prélèvements supérieurs dans le fleuve à l'amont de l'Égypte, et potentiellement une surexploitation. Donc, si l'on additionne les projets du Soudan et de l'Éthiopie, en amont, on voit se développer des tendances où le Nil va être de plus en plus mis à l'œuvre, exploité, et ses eaux vont être de plus en plus prélevées, pour des usages, tant en termes d'irrigation, qu'au plan hydro-électrique. Le développement récent, au plan technologique et infrastructurel du Soudan et de l'Éthiopie, le développement de ces projets hydrauliques, va conduire les pays en amont, effectivement, à appeler à une renégociation des accords historiques qui ont été discutés, et entérinés, sous l'ère coloniale. L'initiative va venir, sans surprise, de l'Éthiopie, qui va rassembler autour d'elle toute une série de pays. Jusqu'à une période récente le Soudan n'y a pas pris part. Mais tous les autres pays amont se sont attachés à discuter sur une initiative commune pour la création d'un accord-cadre de coopération, autour du bassin du Nil, qui vise un partage plus équitable de la ressource. Alors, ces initiatives vont prendre plusieurs années. Après plusieurs échecs dans les années 60, puis 80, c'est l'Initiative pour le Bassin du Nil en 1990 qui va connaître le plus grand succès, et qui va mener à un accord-cadre qui va être signé par six pays à l'heure actuelle. Ratifié seulement par trois d'entre eux, mais le processus de ratification est toujours en cours. Cet accord-cadre, lui, ne fixe pas pour l'instant de quotas, mais en tous cas appelle à un partage plus équitable de la ressource. Ce qui veut dire, très clairement, à un partage de la ressource plus juste avec le pays aval, l'Égypte. Et quelque part aussi le Soudan. De fait, les pays en amont développent leur pouvoir et leurs capacités de négociation. Ils développent aussi leurs potentiels d'exploitation, comme nous venons de le voir, en Éthiopie et au Soudan. C'est ce que l'on appelle des stratégies contre-hégémoniques, elles sont là pour développer les capacités, les dimensions de l'hégémonie dont les pays ne disposent pas au départ. Et l'on voit à travers ce schéma que le Soudan ou l'Éthiopie, qui disposaient jusque là d'une position en amont très favorable, vont développer également des potentiels d'exploitation, mais aussi des pouvoirs de négociation, renforcés, pour essayer d'équilibrer les relations avec l'Égypte. Cette question nous amène très vite, du coup, à nous questionner sur le devenir du pouvoir et de la puissance égyptiennes. Il ne vous a pas échappé qu'avec le Printemps arabe et les révolutions du printemps 2011, le pouvoir de l'Égypte a pu être atténué. En effet, son affaiblissement au plan intérieur, en termes politiques, va peut-être, ou aurait pu la conduire à, justement, affaiblir sa position militaire et industrielle à l'échelle régionale. Il est vrai qu'on a pu se poser la question, jusqu'à la période plus récente d'arrivée au pouvoir du président al-Sissi, retour donc d'un pouvoir militaire, mais pendant une période de deux ou trois ans on s'est interrogé sur le rééquilibrage possible des relations entre les différents pays du fait de l'affaiblissement du pouvoir égyptien. Ceci n'est plus à l'ordre du jour car, très clairement, le nouveau président égyptien a repris les mêmes méthodes de politisation et de sécurisation de la ressource que ses prédécesseurs. Toute la question va donc être de savoir si le retour de l'Égypte sur la scène politique, mais dans un contexte où la position de l'Éthiopie et du Soudan s'est considérablement renforcée et a fortement évolué depuis une petite dizaine d'années, va nous mener à un renforcement de la coopération, d'une coopération peut-être plus active pour trouver un accord plus juste, ou bien si la dépendance de l'Égypte, qui est croissante, toujours bien présente, va plutôt mener à des conflits, des conflits froids ou des conflits verbaux, plus agressifs entre les différents pays du bassin versant. Je vous propose sur cette base, de continuer avec Rawia Tawfik, qui va vous présenter, plus spécifiquement, les développements récents en Éthiopie, avec le cas particulier du barrage Renaissance. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]