[MUSIQUE] >> Nous recevons aujourd'hui Thierry Beaudet, qui est toujours président de la FNMF, puisque nous nous connaissons maintenant depuis le premier épisode de ce MOOC. Première question : tous les mutualistes, finalement, font état de la spécificité mutualiste. Pour vous, président de la FNMF, ça recouvre quoi cette spécificité? >> Écoutez, je pense qu'il faut un instant revenir aux fondements. Moi je dirais que la mutualité, les mutuelles, c'est une manière d'entreprendre. C'est l'idée simple de femmes et d'hommes qui s'associent considérant qu'il y a un certain nombre d'aléas de la vie qui dépassent les possibilités de la personne seule. Et donc des femmes et des hommes qui s'associent pour faire face ensemble aux aléas de la vie et ils le font, j'allais dire, dans un cadre désintéressé, dans un cadre non lucratif. Le bien-être, la solidarité, le partage sont au cœur du projet mutualiste et ça c'est une vraie spécificité. L'objectif des mutualistes, c'est pas de gagner de l'argent quand ils prélèvent des cotisations. C'est de faire en sorte que ces cotisations permettent de répondre aux besoins de santé et de protection de celles et ceux qui leur font confiance. Alors une fois j'ai dit ça, concrètement dans les faits, comment ça s'incarne? La spécificité mutualiste, moi je pense que ça s'incarne notamment dans l'attention portée aux plus fragiles. Ce n'est pas un hasard si dans notre pays, plus de 70 % des plus de 65 ans confient leur santé aux mutuelles. On sait que les personnes âgées sont celles qui ont parfois des revenus moins importants que lorsqu'ils étaient en période d'activité. Ce sont ceux qui vont recourir davantage au système de santé et ils savent que dans les mutuelles, ils pourront trouver une réponse qui permettra de les accompagner, j'allais dire, dans la durée, en étant très respectueux des problématiques qui sont les leurs. Une deuxième spécificité mutualiste, eh bien j'allais dire, c'est d'agir sur des secteurs sur lesquels il n'y a pas d'argent à gagner mais sur lesquels on pense qu'on rend réellement, on répond aux besoins de la population. Disant cela, j'insiste beaucoup sur nos établissements sanitaires et médico-sociaux. Ouvrir un centre de santé pluridisciplinaire dans un quartier défavorisé d'une grande ville, en milieu rural, faire vivre une clinique mutualiste dans une petite ville, je peux vous assurer que économiquement ce n'est pas une sinécure mais faisant cela, on considère que l'on contribue à notre objet social qui est de répondre aux besoins de santé et de protection des populations. C'est ça les spécificités mutualistes. >> Alors cette spécificité mutualiste, autour de l'attention portée à l'autre, de l'objectif de santé avant tout autre, a été soumis à un choc, à plusieurs chocs réglementaires, on pense à l'ANI, on pense au Solva II, et la question qui vient, c'est : en quoi ces différentes évolutions réglementaires ont-elles influé le cours et le développement du mouvement mutualiste? >> Il y a un point de départ qui me paraît extrêmement important, on est au début des années 2000, c'est celui de la transposition dans le droit français des directives assurantielles. Avant la transposition de ces directives, les règles qui s'appliquaient aux mutuelles tenaient compte de ce qu'elles étaient : des mutuelles, des sociétés de personnes. Depuis que ces règles ont été transposées, les règles qui s'appliquent à nous dépendent de l'activité que nous exerçons : une activité d'assurance. En d'autres termes, dorénavant les règles qui s'appliquent aux mutuelles sont les mêmes que celles qui s'appliquent aux assureurs lucratifs dès lors que par exemple, nous exerçons une activité d'assurance santé. Alors ça a été un vrai sujet pour nous parce que Solvabilité II c'est le renforcement notamment de règles prudentielles, mais qui ont été calibrées, j'allais dire, en fonction d'un modèle très anglo-saxon autour des entreprises capitalistes. Et pour nous, c'était des sujets majeurs, déterminants, parce que par exemple une mutuelle, si elle a besoin de fonds propres, elle ne peut pas faire appel au marché comme pourrait le faire une entreprise capitalistique. Donc tout l'enjeu pour nous, ça a été d'obtenir que les directives puissent être transposées dans le droit français, que nos mutuelles s'adaptent sans pour autant que ça vienne, j'allais dire, mettre à mal notre identité. Il y a eu un ou deux sujets que je pourrais évoquer rapidement : le premier c'est le sujet de la gouvernance. En Mutualité, vous avez des élus, notamment des présidents démocratiquement élus par une assemblée générale. On a voulu faire reconnaître dans Solva II la légitimité démocratique, la légitimité de l'élection. C'était pas gagné, nous y sommes parvenus. Et puis deuxième sujet, les mutuelles, par rapport aux grands acteurs assurantiels, on ne fait que de la santé et on a réussi à obtenir un calibrage du risque santé spécifique pour que les exigences de fonds propres des mutuelles ne soient pas inconsidérées. Mais c'est un combat permanent, à la fois de s'adapter à ces règles assurantielles, de s'y adapter en faisant en sorte que ça ne transforme pas en profondeur ce que nous sommes. Moi vous savez, je crois beaucoup à la biodiversité et je crois à la biodiversité des formes d'entreprendre, on a besoin dans notre pays d'entreprises non lucratives, on a besoin de mutualité, on a besoin de mutuelles. >> Alors il y a un autre texte qui a beaucoup influencé et qui a eu une conséquence importante sur la vie des mutuelles, c'est l'ANI, qui prévoit cette obligation de contrat collectif pour toutes les entreprises quelle que soit leur taille. Comment les mutuelles se sont-elles positionnées, comment ont-elles réagi à cette nouvelle donne réglementaire? >> Alors, l'ANI c'est quelque chose d'assez récent, on est parti finalement d'un objectif ou d'un constat partagé à peu près par tous dans ce pays, à savoir qu'on ne peut pas accéder aux soins et à la santé sans une mutuelle, sans une complémentaire santé. Et donc il a été décidé de généraliser la complémentaire santé. Jusque-là tout va bien, simplement pour généraliser la complémentaire santé, les pouvoirs publics finalement ont décidé de la généraliser population par population. On a commencé par créer un dispositif spécifique, ce que vous appelez l'ANI, qui est en gros la généralisation des contrats collectifs obligatoires pour les salariés d'entreprise. Très bien, ça a permis d'améliorer la couverture d'un certain nombre de salariés, 400 000 me semble-t-il, qui ont eu une couverture améliorée, mais ce faisant, on a laissé de côté ceux qui ne sont pas salariés : les jeunes, les demandeurs d'emploi de plus d'un an, les retraités, ceux qui ne sont plus dans l'emploi. Et finalement, cette généralisation de la complémentaire santé, elle s'est faite en segmentant les populations et elle a empêché en réalité d'organiser des solidarités, des mutualisations entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n'en ont pas, entre ceux qui sont bien portants et ceux qui le sont moins finalement. Et donc les mutuelles ont été obligées de s'adapter à cette nouvelle donne. Elles se sont très bien adaptées alors que nous étions des spécialistes de l'individuel. Fin 2016 nous étions déjà dans le pays le premier acteur du collectif, ça veut donc dire que nous avons montré la capacité de nos entreprises mutualistes à s'adapter à un cadre réglementaire nouveau, néanmoins ça ne nous empêche pas de considérer que ce n'est pas nécessairement un progrès que d'isoler les populations les plus fragiles. >> Alors, dernière question, ces évolutions réglementaires se sont accompagnées d'un mouvement de concentration et de regroupement, vous l'avez évoqué lors du premier épisode, la réduction du nombre de mutuelles. Aujourd'hui, ce mouvement de concentration, quelle est sa réalité et quelles sont les conséquences positives ou négatives ou conséquences ou risques à craindre? >> Je crois qu'il faut dire honnêtement que assez souvent, ce mouvement de concentration, à l'origine pour le moins, il a été davantage subi, contraint que choisi. Les exigences réglementaires, prudentielles que nous avons évoquées, les contrats collectifs d'entreprise, ont amené des mutuelles à se regrouper. Moi ce que je voudrais dire, c'est que mutualité doit rimer avec proximité. Et d'évidence, nous avons intérêt dans notre secteur d'activité comme dans d'autres secteurs d'activité à certains moments, de faire des économies d'échelle, par exemple au plan industriel, nos usines de gestion pour parler simplement. Mais il y a plusieurs manières de faire des économies d'échelle : on peut fusionner, ce qu'ont fait certaines mutuelles, on peut se regrouper en créant des unions mutualistes ou on peut simplement bâtir des coopérations ou des partenariats. Moi, ce sur quoi j'insiste beaucoup et ce que je dis à mes amis mutualistes, c'est qu'il y a encore aujourd'hui dans notre pays de la place pour la diversité mutualiste, pour des mutuelles petites, moyennes ou plus grandes. Vous savez, l'enjeu, c'est que mutualité doit rimer avec proximité. Il faut connaître les populations auxquelles on s'adresse, parce que quand on connaît les populations auxquelles on s'adresse, on maîtrise le risque assurantiel que l'on prend. Et c'est ça pour moi l'enjeu majeur. Mais il est vrai que le mouvement de concentration a profondément transformé notre paysage. [MUSIQUE]