0:05
Parlons maintenant des acteurs dans l’espace mondial.
C’est devenu un vrai sujet, ça ne l’était pas autrefois
parce qu’on était dans l’évidence,
l’acteur dans l’espace mondial,
dans ce qu’on appelait alors le système international,
c’était l’Etat, point final.
Et donc il y aurait selon cette grammaire aujourd’hui,
193 acteurs dans l’espace mondial.
0:29
La chose est profondément renouvelée,
et commençons par une petite provocation,
mais qui en réalité n’en est pas une :
combien y a-t-il d’acteurs dans l’espace mondial aujourd’hui :
7 milliards, car la planète
compte 7 milliards d’êtres humains,
nous sommes tous potentiellement
des acteurs de l’espace mondial.
Faites vos comptes, faites le bilan de chacune de vos journées
et comptez le nombre d’actions
internationales que vous commettez,
comme consommateur, comme spectateur,
téléspectateur, voyageur,
et vous verrez à quel point
nous sommes tous des acteurs,
quelquefois microscopiques
de l’espace mondial,
mais réellement acteurs de l’espace mondial.
Tout cela d’abord parce que la mondialisation
a porté ses fruits.
La mondialisation en engageant
le monde dans une interdépendance très vive
fait que nous sommes tous dépendants de tous,
que les acteurs économiques
sont dépendants entre eux,
que les acteurs sociaux le sont aussi,
que les acteurs religieux etc etc
1:35
Mais bien sûr, tout ceci ne serait pas possible
sans le fondement même de cette mondialisation,
c’est-à-dire l’essor des communications
qui fait que tout individu, à Lagos, au Caire,
à Dakar ou à Hong Kong est en mesure d’entrer
directement en communication avec un autre
sans passer par aucune médiation.
C’est-à-dire que l’espace mondial est devenu
un espace d’échange généralisé
et ininterrompu entre tout le monde.
La part du politique s’en trouve rétréci,
où est le vieux rôle médiateur du politique
dans ces échanges auxquels nous procédons
quotidiennement par internet,
par le téléphone portable
et par tous les moyens modernes de communication ?
Alors cela impose à l’analyste
de pouvoir dresser une typologie de ces acteurs.
Je distinguerai deux types d’acteurs.
Les acteurs transnationaux,
c’est-à-dire ceux du marché banal de la vie mondiale,
des entrepreneurs identitaires
c’est-à-dire ces acteurs qui se détachent des Etats,
qui en sont indépendants, mais qui cependant
accomplissent pleinement un rôle particulier,
spécifique de plus en plus pesant
dans le fonctionnement de l’espace mondial.
Alors les acteurs transnationaux,
on peut à nouveau les subdiviser.
On peut ainsi distinguer
ce que j’appellerai les acteurs agrégés,
des acteurs entrepreneurs.
Ce sont des individus qui,
spontanément sont en situation de s’agglomérer
et en s'agglomérant
à mesure que cette agglomération
devient forte et puissante, constituent des flux.
Qu’est-ce que c’est qu’un flux ?
C’est une récurrence d’actions
internationales commises
par toute une série d’individus,
qui choisissent ou ne choisissent pas d’ailleurs de s’agréger.
Des investisseurs financiers, ce sont des individus,
qui commettent des actes individuels,
mais vous imaginez à quel point l’agrégation
des investisseurs financiers au sein de l’espace mondial,
créant des flux de circulation des capitaux,
pèse de manière de plus en plus décisive sur le jeu international.
Les migrants c’est la même chose,
le migrant est un individu,
mais lorsque des individus
sont de plus en plus nombreux
à suivre le même cheminement,
ils constituent un flux migratoire
et la cartographie nous montre
que ce flux peut être plus ou moins épais,
plus ou moins consistant,
donc plus ou moins structurant de l’espace mondial.
4:24
A côté de cela vous avez
quelque chose de tout à fait différent,
c’est-à-dire des acteurs transnationaux
qui existent sous forme d’entreprises.
Là ce ne sont plus des individus,
ce sont des organisations.
Qu’est-ce que c’est qu’une entreprise, au sens
que lui donnait le grand sociologue allemand Max Weber ?
C’est un groupement,
doté d’une direction administrative,
vous voyez une organisation,
et qui agit en référence à des objectifs fixés.
Les ONG, les ONG qu’est-ce que c’est ?
des associations à but non lucratif
qui agissent dans l’espace mondial pour
promouvoir un certain nombre d’objectifs,
et bien ce sont des acteurs transnationaux.
Les medias transnationaux,
dont le rôle est de plus en plus important,
prenez CCN international, Al Jazeera,
prenez BBC international, France 24,
c'est à dire, de véritables acteurs transnationaux
qui pèsent de plus en plus fortement sur l’espace mondial.
CNN touche environ chaque jour
disons 500 millions d’individus,
mais ces individus sont des relais auprès d’autres individus,
si bien qu’on peut considérer que
la dame ou le monsieur qui préparer le journal du matin sur CNN
vient influencer par son discours
peut-être 2 milliards d’individus,
2/7 de la population mondiale
et donc structurer véritablement l’agenda international.
6:15
c’est en quelque sorte un acteur qui propose,
qui offre une identité dans l’espace mondial,
sachant que cette identité offerte
n’est pas identique à l’identité citoyenne,
c’est-à-dire à l’offre que les Etats viennent accomplir.
Alors les principaux entrepreneurs identitaires
ce sont les acteurs religieux et justement,
certains acteurs religieux sont très organisés,
proches de la notion d’entreprise
que je développais tout à l’heure,
il s’agit par exemple de l’église chrétienne romaine,
d’autres sont beaucoup plus décentralisés,
les réseaux de prêcheurs en islam
ne relèvent pas véritablement
d’une organisation en entreprise,
ce sont souvent des initiatives individuelles,
on est plus proche de la logique de l’agrégation.
Il reste que ces entrepreneurs identitaires
viennent considérablement
transformer l’espace mondial,
c’est-à-dire offrent
aux individus de nouvelles identités,
au moment où les Etats
régressent dans cette capacité.
L’offre citoyenne proposée par les Etats
est souvent une offre qui se trouve affadie,
parfois même inaudible,
parce que ces Etats sont faibles,
parce qu’ils sont peu institutionnalisés,
parce qu’ils sont peu légitimes,
parce qu’ils sont peu attrayants.
Et l’on voit à ce moment-là
des entrepeneurs de substitution apparaître,
acteurs religieux ou alors acteurs tribaux,
communautaires, le clan, le lignage, la tribu,
l’ethnie - même si ces notions doivent être surveillée -
constituent des entrepreneurs identitaires
qui fournissent aux individus que nous sommes
des offres de substitution,
des identités de substitution
à celle qu’un Etat
plus ou moins mal en point est capable d’offrir.
8:23
Et, dans cette situation évidemment,
l’entrepreneur identitaire
est mal vu de l’Etat parce que non seulement
il fait le travail de l’Etat,
mais il vient en quelque sorte
contester la force de l’allégeance
citoyenne, monopolistique, exigeante
qui est la marque de l’Etat souverain.
On voit bien, en Afrique, le rôle des confréries,
le rôle de l’islam dans les pays
qui se trouvent à la frontière
de ce monde musulman
qui s’étend de plus en plus
vers le sud des espaces sahariens.
Mais on voit bien aussi,
dans le conflit des Grands lacs notamment,
l’importance et souvent l’importance diabolique et violente
de l’offre identitaire de type ethnique.
On voit bien comment de plus en plus,
là où l’Etat est défaillant,
les acteurs religieux ou les acteurs identitaires
viennent tenter leur chance
auprès des individus
et donc considérablement complexifier l’espace mondial.
Pourquoi l’espace mondial ? et bien parce que
ces offreurs n’ont pas de frontière,
ils agissent indépendamment du cadre étatique.
Alors regardez avec moi
ce monde triangulaire qui est le nôtre aujourd’hui.
C’est-à-dire un monde à 3 angles.
L’angle des Etats, type encore important,
plus que ça, juridiquement
dominant de l’ordre international.
Mais désormais flanqué de 2 rivaux,
que sont les acteurs transnationaux,
qui eux jouent la carte du marché,
de l’association, de la globalisation, de la mondialisation,
et puis enfin ces entrepreneurs identitaires
qui veulent redessiner la carte du monde
en fonction des solidarités ethniques ou religieuses.